« Utopie ou réalité déjà engagée »
Depuis 2007, la crise économique mondiale n’épargne plus rien, ni personne. Elle détruit toujours plus d’emplois et d’entreprises. La menace s’est emparée des esprits de chaque homme et femme redoutant, quel que soit leur origine, leur emploi, leur richesse et leurs connaissances, de tout perdre à un moment ou à un autre.
Les victimes de la crise sont autant atteintes dans leur existence matérielle qu’au plus profond de leur être. Le stress est devenu le premier facteur de maladie et les suicides augmentent dans les pays industrialisés dans des proportions identiques à celles des pays en proie à des conflits armés.
La folie meurtrière de factions d’illuminés propageant des attentats sur tous les continents détruit un peu plus encore, par l’angoisse, la santé psychique des individus d’une bonne partie du monde.
Les très pauvres restent très pauvre. La classe moyenne des pays industrialisés glisse progressivement dans la pauvreté. Les riches sont de moins en moins nombreux et s’enfuient dans les paradis fiscaux (seulement 0,4 % de la population française dépasse un revenu de 200 000 € annuel).
Les fleurons des grandes entreprises internationales de tous les domaines (finance, industrie, pharmaceutique, alimentaire, etc…) ont automatisé et robotisé tout ce qui pouvait l’être, ou, s’ils ne l’ont pas fait, ce qui reste est en train de disparaître. Ces entreprises, dans le même temps, précipitent au chômage des centaines de millions d’hommes et de femmes qualifiés.
Tous ces êtres humains qui sont écartés de la stabilité de leur vie par ces crises à répétition et qui se retrouvent dans l’insécurité quotidienne, désespèrent de retrouver un emploi viable pour élever leurs enfants et vieillir avec sérénité.
Un silence assourdissant sur les souffrances provoquées par ces crises économiques est observé par des hommes et des femmes politiques, incapables d’orienter et d’aider les populations concernées et incapables de tenir la barre de leur pays. Ils ne font que mentir un peu plus, jour après jour, pour cacher une réalité devenue flagrante : le plein emploi ne sera plus jamais atteignable dans nos économies de marché. On se dirige inexorablement vers une société où les machines et la robotique remplacent la main d’œuvre. Aucun domaine d’activité n’y échappe.
On passe dans une nouvelle ère dite numérique ou digitale et post-industrielle, mais aussi sans doute post-salariés.
Ce climat d’insécurité, d’isolement et de dépression collective atteint des proportions jamais égalée à l’échelle planétaire, dépassant très nettement ce qui avait été vécu lors de grandes dépressions des années 1920 à 1930.
Des manifestations, regroupant toujours plus de monde, de toutes générations, essayant de faire naître de nouvelles idées et un nouveau modèle de société, se développent jour après jour un peu partout dans le monde. On parle de disruption dans tous les domaines économiques et d’irréversibilité de ce changement.
Que vont devenir les hommes si le travail disparaît progressivement ?
Et pourtant au milieu de ces sombres perspectives se trouvent, peut-être, les bases d’un nouveau modèle socio-économique plus collectif et construit sur d’autres valeurs que le seul capital.
Toute la sphère technologique est tournée vers le « Dieu numérique », qui apparaît comme le fer de lance de ce changement.
Il faut innover :
Chacun sait que le modèle actuel est en décomposition et que pour aller plus loin, il faut trouver des solutions dans la rapidité et l’efficacité à délivrer des biens et services à moindre coût et partout (dans la décennie à venir, on parle de très nombreux services et de l’énergie de coût marginal proche de zéro). Mais appréhender le problème, sur ce seul aspect de progrès technologique, dans une perspective financière de gains, est une démarche vouée à l’échec. Si cela ne s’inscrit pas dans une nouvelle dimension de transformation sociale profonde, l’état de crise perdurera et s’amplifiera.
Le modèle capitaliste est antagoniste à cette forme de progrès et il va falloir changer les politiques pour en trouver un qui soit capable d’intégrer cette transformation.
Pour rendre la liberté de vivre au plus grand nombre, le numérique et le digital ont un rôle majeur à jouer :
-Les milliers d’applications fabriquées, à ce jour, répondent à peu près à tous ce qu’il est possible d’imaginer, avec toujours plus de simplicité d’accès et d’usage.
– Avec l’internet de 4eme génération et son nombre exponentiel d’adresses IP utilisables, toujours plus de machines et de personnes pourront se connecter.
– Avec les solutions de mobilité sans cesse en progression, y compris dans les contrées les plus éloignées sur Terre, les hommes seront à égalité, en termes d’outils numériques, pour se développer.
Quelques très grandes compagnies détiennent encore les clés de cette accélération numérique et surtout tentent de rendre captives les données d’usage de chaque individu. Cependant, le monde Open source gagne du terrain chaque jour et parviendra, au fur et à mesure, à faire tomber ces situations monopolistiques.
Sur le plan idéologique, la fin du capitalisme est annoncée aux alentours de 2040 et le retour progressif aux communautés d’intérêts partagés est engagé. Ces communautés tendent vers des mécanismes d’autogestion supranationaux et sont basées sur d’autres valeurs que les monnaies et réglementations existantes. Elles prennent de plus en plus de distance avec les structures économiques et sociales organisées par les Etats et sont d’ores et déjà, pour certaines d’entre elles, à des échelles transnationales qui ne permettent plus aux pouvoirs politiques des Etats de les contenir. Cela provoque des réactions politiques de deux types, essentiellement :
– L’avènement de politiques populistes, triant les êtres humains au passage, sur des critères tous plus absurdes les uns que les autres. Ces politiques sont basées sur le développement de la peur du lendemain et du changement, mais aussi sur la peur des autres et prônent la fermeture des frontières.
– D’autres politiques, formées et informées sur ce qui est en train de se jouer, prennent des initiatives pour tenter de garder le Politique au-dessus de cette disruption ; ils essaient de se mettre EN MARCHE, mais, pour aller où et vers quoi ?
L’évolution engagée conduit donc inéluctablement à des choix de rupture, qui toucheront l’humanité toute entière.
Comment la révolution numérique peut contribuer à régler les problèmes de société, de chômage et de crise ? Jusque-là, cela n’a fait que les aggraver.
C’est pourquoi, toute expérience hors des sentiers battus est bonne à conduire pour rechercher et trouver un modèle durable.
Les nouvelles générations arrivent sur le marché du travail avec des valises de connaissances et de diplômes, mais il n’y a plus de travail et donc plus de marché pour les faire vivre à long terme. 25 % aujourd’hui et 40 % en 2020 ne travailleront jamais dans le modèle social du début du XXI siècle.
Les anciennes générations inadaptées à ce monde numérique espèrent que, aussi mauvaise qu’elle soit, la structure sociale résistera suffisamment pour leur permettre de subvenir à leurs besoins jusqu’à la fin de leur vie.
Néanmoins, la transformation vient de la fusion de générations entre des quadragénaires et des quinquagénaires qui ont des expériences solides dans les technologies du numérique et qui font plus qu’en parler. Ils participent à la révolution digitale depuis quelques années déjà.
Ils s’appuient sur les jeunes générations Y et bientôt Z qui vivent depuis leur enfance en réseau et qui n’imaginent pas leur vie sans. Leur vie est basée essentiellement sur la satisfaction de leurs besoins en temps réel, pour tous et partout. Ils ne veulent pas suivre le modèle de celle de leurs parents, faite d’étapes sur une échelle sociale dont les barreaux cassés sont remplacés par l’angoisse du lendemain.
Mais ils sont conscients aussi qu’ils contribuent à détruire toujours plus le travail de l’homme au profit de technologies automatisées, réduisant au passage les chaînes de valeur à leur optimum en termes de prix bas et en supprimant tous les intermédiaires qui les composent et donc de nombreux emplois.
Des petits groupes animés de la volonté de trouver une issue se sont toutefois mis à regarder dans le passé, en utilisant les outils du présent, pour esquisser un modèle pour demain qui puisse être repris et multiplié par d’autres, partout ou presque, sur Terre.
Ils sont partis du principe que les économies telles qu’elles existaient jusque-là, avec leurs systèmes politiques en place, n’apporteraient pas de solutions. Ils ont considéré que ces derniers ne feraient que poursuivre l’attitude d’occultation de la réalité en place et masqueraient leur impuissance et leur inadaptabilité à ce nouveau cadre en utilisant des subterfuges, des scandales ou des pseudo débats de société (le port du voile, la légalisation du cannabis, le libre port d’arme, etc…).
Il faut donc sortir de ce carcan et réaliser des expériences simples, concrètes, partout transposables et qui donnent à chacun l’envie et l’espoir de réagir et d’évoluer, sans pour cela avoir besoin de richesses.
Quelques audacieux se sont mis dans des conditions répondant à ces critères minimalistes en allant essayer de constituer une communauté de vie utilisant le progrès technologique et le numérique dans des endroits peu adaptés, à priori, comme par exemple le désert du Sahara.
Ils sont partis du principe qu’avec ces nouvelles technologies, ils seraient capables de vivre et de développer une communauté au milieu de nul part, dès lors que la zone où ils poseraient leurs valises serait au moins balayée par un réseau de communication, qui permettrait d’émettre et de recevoir sur internet.
Pour cet exemple, l’Afrique, très en retard en termes de développement est, par contre, parfaitement irriguée par des réseaux de communication. 80% des habitants de nombreux pays d’Afrique ont un téléphone mobile et s’en servent, y compris pour payer.
Pour cet exemple, avec moins de 2 000 € d’équipement collectif, dans un village coupé du reste du monde, ils ont démontré qu’il était possible de :
– produire de l’énergie tous les jours avec des panneaux solaires et quelques batteries pour en stocker un peu. Ainsi, charger les moyens de communication et disposer d’énergie 24h sur 24. On peut aussi, compte tenu des progrès actuels dans ce domaine, penser que, dans un avenir proche, ils pourront acheter, pour des prix encore bien inférieurs aux panneaux actuels, des rouleaux de cellules photovoltaïques nouvelle génération, imprimés, et qui pourront être posés sur les murs ou à même le sol.
– Utiliser des véhicules dont le prix d’énergie fossile ou électrique ne cessera pas de baisser avec le développement des énergies renouvelables. L’accélération actuelle de l’énergie électrique n’en est qu’à son début. Sur les marchés financiers, le coût de l’énergie électrique renouvelable passe déjà en dessous du coût de l’énergie fossile. Cela fait reculer fortement le prix du baril de pétrole et conduit les pays de l’OPEP à imposer un gel de ce prix pour sauvegarder, temporairement, la couverture des coûts de production et de transformation.
– Fabriquer des outils et autres pièces indispensables, sur place, avec les technologies d’impression 3D qui suppriment les revendeurs et le transport. Grâce à la multitude de données disponibles, en open source (pour la 3D), il est possible de fabriquer sur place ces pièces et outils indispensables au fonctionnement d’une micro communauté à moindre coût.
– développer avec une simple pompe électrique et un peu d’irrigation (et donc quelques cultures) devient réalisable sans apport externe significatif et sans investissement important.
– Fédérer une communauté dans un mode de fonctionnement en autosuffisance où chacun est apporteur de par son travail personnel et ses connaissances et peu subvenir ainsi à ses besoins et participer à ceux de sa communauté. Le « dieu numérique » leur apporte le reste, développé dans le monde entier, en open source.
-Utiliser le numérique et les applications qui permettent d’appuyer cette démarche que ce soit pour la mécanique, la construction, la météorologie, le médical et le social, etc.
-Mais aussi, dans la capacité d’échanges directs avec des producteurs, utiliser des unités de valorisation qui soient, elles aussi, désintermédiées et à des coûts marginaux faibles, mais qui permettent à une microéconomie où tous contribuent à définir une unité de valeur commune.
– Centrer le fonctionnement de ces communautés sur la coopération et la progression intergénérationnelle plus que sur la compétition sociale et financière.
– Eduquer les plus jeunes sur place grâce à l’organisation du savoir via le numérique (MOOC, Wikipédia, etc.), plutôt que poursuivre l’exode vers des mirages de mégalopoles disposant d’universités hors de prix et de richesses qui ne leur seront jamais accessibles.
– Faire régresser, de par cette solidarité en grande partie démonétisée, les comportements agressifs et individuels destructeurs et donc revenir à des notions de famille, de respect, de vie simple.
Pour terminer :
On peut s’interroger sur les raisons qui font que ce type de démarche est possible et engagé sur des continents tels que le continent africain, mais aussi en Inde ou encore en Chine, mais éprouvent des difficultés à se développer en Europe et dans un pays comme la France.
La France souffre de cette chute progressive du modèle capitaliste, qui concentre dans des banlieues des millions de personnes malheureuses et déshéritées, alors que tant d’espaces et petits villages meurent un peu plus tous les jours parce qu’ils sont abandonnés par leurs habitants.
La population jeune, qui refuse actuellement de se laisser entrainer dans le modèle de ces trente dernières années, a toutes les raisons de manifester son droit à une vie meilleure. Ayant grandi avec les réseaux sociaux, elle dispose de toutes les connaissances pour fabriquer et fédérer ces petites communautés, les développer et reprendre le chemin de la décentralisation pour faire revivre la ruralité, en plaçant le développement durable au centre des préoccupations.
De ce fait, l’expérience mérite de se répéter à l’infini dans ces villages, où des jeunes amèneront des enfants et leur connaissance de la technologie, en contrepartie de quoi des agriculteurs leur proposeront directement leurs produits, et où la technologie sécurisera la vie des plus anciens. L’éducation pourra se développer localement et gratuitement par l’accès numérique au savoir. Le savoir-faire des artisans sera une vraie richesse mise au profit des nouveaux arrivants.
Ainsi se constitueraient des communautés solidaires, vivant grâce au « Dieu numérique » destiné à les aider et sans le « Démon capitaliste » destiné à les spolier de leurs droits élémentaires à une vie descente.
Les populations seront-elles capables d’effectuer un tel virage ? Cela est plus que souhaitable mais parait encore difficilement réalisable…
Bibliographie :
– Est-ce ainsi que les hommes vivent, Claude Halmos
– Le meilleur de soi, Guy Corneau
– Penser l’homme et le monde autrement, Gilles Babinet
– La nouvelle société du coût marginal zéro, Jérémy Rifkin