Tout comme l’équilibriste sur son fil, passer de l’informatique au numérique nécessite d’être capable de fixer la ligne d’horizon et d’avoir des valeurs humaines (courage, émotions, esprit d’équipe), beaucoup plus que des connaissances technologiques, aujourd’hui à la portée de tous.
Permettez-moi de poursuivre cette image qui est, selon moi, fortement représentative de ce qui est en train de se jouer.
Je débuterai, (sans agressivité aucune, bien sûr) par le manager qui a l’habitude de regarder ses collaborateurs du haut de son grade hiérarchique et qui tente de démontrer qu’il a l’autorité et que ses collaborateurs lui doivent tout, et que sans lui, ils ne sont rien.
Celui-là, en dehors du fait qu’il n’a s’en doute aucun leadership, si on le met sur un fil entre deux montagnes, il va, naturellement, regarder le bout de ses chaussures, en se disant :
– que le fil a sans doute été mal monté si ce n’est pas lui qui en a supervisé l’installation
– qu’il n’a peut-être pas les meilleures chaussures du marché et donc que le fabriquant peut lui porter préjudice.
– que les prévisions météorologiques ne sont pas forcément très fiables et que si le vent souffle plus fort que prévu, il pourra faire un procès à la station météo qui lui a communiqué ces prévisions.
– qu’il ne faut pas qu’il tremble et éprouve la moindre émotion, sinon on risque de le voir sur les images et cela amenuisera la posture qu’il tente désespérément de donner depuis des années.
Ce manager-là, faute de pouvoir regarder son nombril car il porte un maillot à l’effigie de son sponsor financier, regarde donc ses pieds et c’est inévitable, il va tomber. Non, plus exactement, il va utiliser un des prétextes précités pour renoncer et envoyer un de ses collaborateurs à sa place. Il ne manquerait plus qu’il y arrive…
L’autre manager aborde les choses sous un tout autre angle :
– Il a constitué une équipe, en qui il a confiance et qui s’est chargée de l’installation du matériel. Il sait qu’ils ont fait le maximum pour qu’il soit en sécurité.
– Il a mis des chaussures dans lesquelles il se sent bien et cela le rassure.
– Il remercie d’avance la station météo de s’être autant penché sur son projet pour affiner, le plus possible, les données nécessaires à définir le bon moment pour se lancer.
– Il sait qu’il va vivre un moment d’intenses émotions personnelles et qu’il regarde de l’autre coté au loin, parce qu’il a besoin de se concentrer, qu’il y croit à 200% et que son objectif est des plus exaltants. Il savourera après le moment où il retrouvera les siens et laissera éclater sa joie et son trop plein d’émotions.
Naturellement il vit vraiment et il va réussir…
Alors, me direz-vous, où voulez-vous en venir ?
Eh bien, dans les entreprises qui abordent la transformation IT pour aller vers le digital, passer de l’ère de l’informatique à l’ère de la numéritie, comme certains chercheurs la surnomme, c’est un peu la même chose.
Il y a ceux, qui se croient sous les pouvoirs divins capables d’imposer leur vision du monde de demain tout en restant dans le cadre de celui d’aujourd’hui qui leur est, pensent-ils, plus favorable.
Il y a ceux qui prennent le temps, avec leurs équipes, de partager et d’essayer de trouver la meilleure trajectoire pour cette nouvelle ère post moderne, ou post informatique industrielle, qui arrive et qui n’aura plus grand chose à voir avec le cadre actuel.
Ces derniers ont compris, comme de plus en plus de chercheurs et de sociologues le disent, avec beaucoup de clairvoyance, que l’on va vivre une transformation profonde de la société et que l’inéluctable mur, que l’on nous prédit pour demain, est, ou sera sans doute, évitable si l’on sait prendre la dimension humaine de cette évolution numérique à la base technologique.
Un autre exemple :
Il y a deux ans de cela déjà, j’étais resté stupéfait de voir dans un fastfood, dans l’espace enfant, une expérimentation qui projetait sur une surface plane des images holographiques en 3D. C’était des images de petites voitures et de personnages que les enfants essayaient d’attraper. J’avais trouvé cette approche extraordinaire, car elle réunissait ce qui allait devenir à n’en pas douter, pour les dix ans à venir, un des axes phare du digital.
La génération Y ou Z, je ne sais plus la qualifier précisément tellement tout cela s’accélère, sera totalement résiliente avec ces technologies et elle fera comme ces enfants de 5 ou 6 ans, qui se concertaient, alors qu’ils ne se connaissaient pas dix minutes auparavant, pour trouver comment attraper ces petites voitures. L’arrivée du numérique va donc plutôt rapprocher des communautés d’individus qui partagent un même objectif, que les éloigner tel que l’on a pu le vivre dans l’ère productiviste et hiérarchisée dont nous sortons progressivement, en piteux état.
Cette expérimentation j’en avais parlé un peu autour de moi et je voyais les demi sourires de bon nombre de personnes qui pensaient que je n’étais qu’un rêveur.
Alors aujourd’hui, quand, sur les réseaux sociaux ou dans les journaux télévisés, le patron mondial d’Accenture se projette aux quatre coins de la terre depuis son bureau en image holographique, tout le monde en parle, et tant mieux, car cette personne a compris ce qui se jouait. Il a compris que cette transformation allait remodeler la société dans son ensemble au-delà des technologies qu’il utilise. Il a, comme de plus en plus de personnes, compris que l’on va vivre un saut quantique comme nous n’en avons pas connu depuis le début de l’ère industrielle.
Alors, ceux qui sont accrochés à leurs prérogatives et au modèle capitaliste et politique tel qu’il a structuré la société ces dernières décennies vont devoir vivre des heures difficiles. Ils n’ont pas fini d’en parler lorsqu’ils se réuniront au golf du coin, chaque vendredi après-midi.
Ceux-là chercheront longtemps le « 4X4 numérique » offert clé en main, capable de les emporter dans l’ère de la digitalisation sans rien changer dans leurs entreprises.
Je suis adepte de la théorie du « coût marginal proche de zéro de M. Rifkin » pour les énergies et la plupart des biens de consommation. Je trouve également le film « Demain » admirable, dans la manière dont il montre comment des communautés réinventent des écosystèmes durables en agissant de manière intelligente et d’abord sociale, mais aussi en termes de services qu’apportent l’ère numérique.
En conclusion :
Je tente de le faire partager dans mes travaux actuels : il faut réinventer le modèle social des entreprises pour passer au numérique. Intégrer la technologie seule, comme on l’a fait jusqu’à maintenant pour l’informatique, est désormais voué à l’échec.
Les projets à conduire doivent donc accorder une part égale à la prise en compte de l’humain et de son bien être futur dans ce changement et au volet technologique pour le modeler aux besoins.